- citrouillepapote
Rituel de chair #masterton #lechaudrondesténèbres
Rituel de chair est un roman d’un certain volume, mais ne vous fiez pas aux apparences, il se lit extrêmement vite. Si vous vous risquez à l’ouvrir, vous aurez toutes les chances de le dévorer, comme tout le monde.
Le point de départ de l’histoire est très simple, mais diablement efficace. Le récit nous happe immédiatement, et nous plonge presque aussitôt dans l’angoisse.
Charlie est guide gastronomique ; il se rend de ville en ville, de restaurant en restaurant, pour donner son avis sur les différents établissements qu’il visite, et ainsi repérer les étapes agréables à l’usage des voyageurs, touristes ou commerçants itinérants.
Il emmène avec lui son fils Martin, qu’à son grand regret il n’a pas élevé. Il espère justement mettre ce temps à profit pour resserrer leurs liens père-fils.
Tous deux vont se mettre à la recherche d’un restaurant nommé le Reposoir, réputé pour être très spécial, et réservé aux initiés. On apprend que le village dans lequel ils se trouvent a été le théâtre de nombreuses disparitions d’enfants et d’adolescents, sans que personne ne s’en alarme outre mesure. Une espèce de légende urbaine est en circulation, selon laquelle les jeunes s’enfuient pour aller dans les grandes villes, pour trouver un travail, ou tout autre motif apparemment satisfaisant. Aucun explication n’a été fournie, aucun coupable n’a été désigné ; et il semblerait même qu’aucune enquête n’ait été menée (ce qui est le pompon dans de telles situations).
Peu à peu, on va apprendre l’existence des Célestins, des fanatiques qui réinterprètent un point particulier de la Cène pour justifier l’espérance d’un Second Avènement : leurs valeurs sont basées sur le sacrifice de soi et l’ingestion de chair et de sang humain. Comme Jésus a dit « Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant: Prenez, mangez, ceci est mon corps. Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; car ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père » (verset 26), il serait selon eux logique de manger son propre corps, ainsi que le corps d’autres individus, jusqu’à atteindre le millième martyr, qui se sacrifiera lui-même et permettra le retour de Jésus sur terre.
Ce qui est complètement terrifiant, c’est la virulence avec laquelle les Célestins défendent leurs convictions. Ils se mutilent atrocement (pour commencer, ils apprécient tout particulièrement, notamment, de se sectionner un doigt avec soin, puis de le faire griller, pour finir par le dévorer) et sont nombreux à atteindre la mort, tout cela pour mener à bien leur rituel ultime. Ils érigent le sacrifice de sa propre chair, le sacrifice de sa propre vie, en valeur ultime. Le principe serait de racheter la mort du Christ par de nombreuses autres morts, qui lui seraient offertes.
L’auteur, par le biais de Monsieur et Madame Musette – qui sont les porte-parole de ce mouvement- fournit des explications à ce délire collectif. Ainsi, le vide spirituel créé par les parents et entretenu par la société serait le facteur décisif permettant de tomber dans une telle secte, multipliant les chances de se faire berner par des théories vaseuses, de vouloir donner un sens à sa vie – peu importe lequel.
De la même façon que certains se laissent séduire par les sirènes de Daech, les disciples sont ici nombreux à vouloir donner leur corps pour se sentir exister dans ce rite soit disant christique et sacrificiel.
Le raisonnement selon lequel il n’y a pas de différence fondamentale entre l’ingestion de chair animale et l’ingestion de chair humaine est également parfaitement valide, ce qui ne fait qu’accroître le sentiment de malaise du lecteur, qui se trouve presque dans une posture intellectuelle dans laquelle il pourrait théoriquement défendre les idées des Célestins.
Le roman est également pourvu d’une fin incroyable, qui vous fera dresser les cheveux sur la tête. Graham Masterton s’illustre ici par un époustouflant talent de conteur, et une vision extrêmement claire de la folie humaine. En bref : une lecture terrifiante, addictive et fascinante ! A lire absolument !
